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Droit du travail

Entretien d’évaluation : la Cour de Cassation précise les limites de l’évaluation de la personnalité

Le 29 octobre 2025, la Cour de Cassation a rendu un important arrêt sur l’évaluation de la « personnalité » dans le cadre des entretiens professionnels. La jurisprudence se précise donc.

Cet arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation, rendu le 29 octobre 2025, est important car il fixe avec une certaine fermeté les limites de l’évaluation des « compétences comportementales » (ou soft skills) dans l’entreprise.

Il confirme l’arrêt de la cour d’appel de Rennes qui avait jugé illicite l’ensemble du dispositif d’« entretien de développement individuel » (EDI) mis en place par la Laitière de Vitré en 2017.

Les principes rappelés (points 5 à 7)

La Cour réaffirme le triptyque classique issu des articles L. 1121-1, L. 1222-2 et L. 1222-3 du code du travail : L’employeur a le droit d’évaluer les salariés dans le cadre de son pouvoir de direction, MAIS la méthode et les critères d’évaluation doivent être :

  • précis,
  • objectifs,
  • pertinents au regard de la finalité (apprécier les compétences professionnelles).

La Cour de cassation valide ici l’analyse très sévère de la cour d’appel sur deux points :

  1. Le poids excessif des critères comportementaux
    La partie « compétences comportementales groupe » n’était pas accessoire : elle était abondante, structurée, avec de nombreux sous-critères. L’impossibilité de connaître a priori leur pondération exacte par rapport aux critères techniques rendait le système insuffisamment objectif et transparent.
  2. Le caractère trop vague et moralisateur de certains items
    Les notions d’« optimisme », d’« honnêteté » et surtout de « bon sens » (apprécier si le salarié sait « se montrer concret, actif et efficace en faisant preuve de bon sens ») ont été jugées :
    • trop imprécises,
    • à connotation moralisatrice,
    • débordant sur la sphère personnelle,
    • entraînant une évaluation trop subjective de la part du manager.
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La Cour considère que ces critères ne présentent pas un « lien direct, suffisant et nécessaire » avec l’activité professionnelle et s’éloignent donc de la finalité légitime de l’évaluation.

La portée de la sanction : l’interdiction totale du dispositif

C’est probablement le point le plus marquant de l’arrêt.

L’employeur faisait valoir que seule la partie « compétences comportementales » était critiquée et qu’interdire tout le dispositif (y compris l’évaluation des objectifs, des compétences techniques, etc.) était disproportionné.

La Cour de cassation écarte l’argument en une phrase (point 8) :

« répondant aux conclusions prétendument omises, [la cour d’appel] a pu déduire… que la procédure d’évaluation EDI était illicite et qu’il lui était interdit d’utiliser ce dispositif ».

Autrement dit : dès lors que la partie comportementale était structurante et indissociable du reste du dispositif, et qu’elle était entachée d’illégalité, c’est l’ensemble de l’outil qui tombe. Il n’y a pas d’obligation pour le juge de « sauver » les parties valables si l’employeur n’a pas conçu un outil suffisamment cloisonné.

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Enseignements pratiques à retenir

  1. Les évaluations de type « soft skills » ou « savoir-être » ne sont pas interdites en soi, mais elles sont très encadrées. Les critères doivent rester professionnels et mesurables (ex. : « capacité à travailler en équipe », « aptitude à gérer les priorités », « qualité de la communication avec les clients » peuvent passer ; « optimisme », « honnêteté », « bon sens » sont trop vagues ou trop moraux).
  2. La pondération entre hard skills et soft skills doit être connue et équilibrée. Si les critères comportementaux prennent trop de place ou sont trop nombreux, le risque d’illégalité augmente fortement.
  3. Il faut pouvoir isoler clairement les parties critiquables. Un outil unique mêlant compétences techniques et comportementales mal conçues tombera en bloc. Mieux vaut souvent deux grilles distinctes ou au minimum des rubriques très séparées avec pondérations affichées.
  4. Le « bon sens » comme critère d’évaluation est désormais explicitement blacklisté par la Cour de cassation. C’est assez rare pour être souligné : on a une formule (« faire preuve de bon sens ») qui est désormais jugée intrinsèquement trop subjective et moralisatrice.
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Conclusion

Cet arrêt de 2025 durcit sensiblement la jurisprudence sur les évaluations comportementales, déjà exigeante depuis les arrêts « Nikon » (2001) et suivants. Il montre que la chambre sociale reste très vigilante dès que l’évaluation empiète, même indirectement, sur la personnalité ou les valeurs morales du salarié.
Pour les DRH et les cabinets de conseil qui conçoivent des grilles d’entretiens annuels ou de développement, c’est un signal fort : il faut revoir tous les items un peu « psychologiques » ou trop généraux et les remplacer par des critères strictement professionnels, précis et, autant que possible, observables et mesurables.