Il faut avoir le courage de regarder la réalité en face, même lorsqu’elle est laide. Surtout lorsqu’elle est laide. Le « modèle social français », ce totem intouchable que la caste technocratique et politique agite comme un hochet devant une opinion publique anesthésiée, est mort. Il ne respire plus que par l’assistance respiratoire de la dette et du mensonge d’État.

Pendant que les énarques de Bercy et de l’Avenue de Ségur s’auto-congratulent dans des rapports illisibles, une fracture silencieuse mais brutale est en train de disloquer le pays. D’un côté, les protégés du système, statutaires et « insiders », qui jouissent encore des restes du festin des Trente Glorieuses. De l’autre, le nouveau prolétariat du XXIe siècle : ces 4,6 millions d’indépendants, auto-entrepreneurs, livreurs de plateformes et « slashers » qui constituent la chair vive de notre économie contemporaine. Pour eux, la promesse de 1945 — « libérer les travailleurs de l’angoisse du lendemain » — est devenue une sinistre plaisanterie. Ils sont nus face au risque. Et l’État, obèse et impuissant, est devenu incapable de les habiller.
L’État en faillite : le roi est nu et il nous fait les poches
Le constat de la faillite n’est pas une opinion libérale, c’est une donnée comptable que la Cour des comptes elle-même hurle dans le désert. La Sécurité sociale n’est plus une assurance, c’est un trou noir. En 2024, le déficit dérape vers les 18 milliards d’euros, une dégradation « d’une ampleur inédite » hors crise sanitaire. Pire, l’ACOSS, la banque de la Sécu, court vers une « crise de liquidité » dès 2027. Le système ne tient que parce qu’il emprunte sur les marchés financiers pour payer les médicaments et les retraites d’aujourd’hui, transférant une dette immorale à nos enfants via la CADES jusqu’en 2033.
Mais où passe l’argent? C’est ici que le scandale éclate. La France consacre entre 47 et 50 milliards d’euros par an aux seuls frais de gestion de sa protection sociale. C’est l’équivalent du budget de nos armées, englouti non pas dans les soins, mais dans la bureaucratie! Là où les systèmes de retraite américains ou suédois tournent avec des frais de fonctionnement inférieurs à 1 %, notre administration sociale prélève sa dîme pour nourrir une armée mexicaine de caisses, de sous-caisses et de directeurs.
L’État a démontré son incapacité structurelle à gérer l’argent des Français avec parcimonie. Il a transformé la solidarité nationale en une vaste machine à clientélisme, achetant la paix sociale auprès de syndicats qui ne représentent plus personne mais qui vivent grassement du paritarisme de gestion, comme l’avait révélé le rapport Perruchot, consciencieusement enterré par la classe politique. Confier la prévoyance de ce nouveau prolétariat à cette caste en faillite relèverait du crime contre l’intérêt général.
Le nouveau prolétariat : la chair à canon de l’imprévoyance
Pendant ce temps, la réalité sociale frappe. Le livreur Uber Eats qui se fracture le col du fémur, l’artisan qui fait un AVC, le freelance en burnout : qui les protège? Personne. Ou si peu. Les chiffres sont accablants : seuls 35 % à 36 % des travailleurs non-salariés sont couverts par un contrat de prévoyance en cas d’arrêt de travail ou d’invalidité.
Contrairement au salarié « classique » qui bénéficie d’une armure invisible (maintien de salaire, mutuelle d’entreprise, prévoyance de branche), l’indépendant vit sous une épée de Damoclès. Au moindre accident de la vie, c’est la paupérisation immédiate, la descente aux enfers sociale. Les indemnités journalières du régime public sont une aumône, souvent inaccessibles aux plus précaires à cause de délais de carence punitifs ou de conditions d’affiliation kafkaïennes.
Il reste donc une immense conquête sociale à accomplir. Il ne s’agit pas de distribuer des chèques en bois, mais de construire un « bouclier de vie » pour ces forçats de l’économie numérique. La prévoyance lourde (décès, invalidité, incapacité) est l’urgence absolue. C’est elle qui sépare la vie digne de la misère en cas de coup dur. Mais cette conquête ne peut se faire avec les outils rouillés du Conseil National de la Résistance.
Le Marché : l’efficacité contre l’idéologie
Il faut briser un tabou français : le marché est bien mieux placé que l’État pour assurer cette protection. Pourquoi? Parce que la prévoyance repose sur le temps long, et que seule la technique de la capitalisation, gérée par des assureurs privés sous contrainte de solvabilité, peut garantir les rentes futures. L’État, lui, gère tout en répartition, c’est-à-dire en « cavalerie » budgétaire, promettant ce qu’il n’a pas.
Regardons ailleurs. Les Pays-Bas ou la Suisse, qui ne sont pas des enfers antisociaux, ont confié la gestion de leur assurance maladie obligatoire à des assureurs privés en concurrence. Le résultat? Une couverture universelle, une qualité de soins supérieure, et une gestion infiniment plus saine. En France, les assureurs privés et les mutuelles, malgré les taxes que l’État leur impose, affichent des coûts de gestion maîtrisés et une réactivité que l’Assurance Maladie ne connaîtra jamais.
Le marché, c’est aussi la responsabilité. C’est la fin de l’infantilisation. C’est la possibilité pour le travailleur de choisir son assureur comme il choisit sa banque, de faire jouer la concurrence, d’exiger du service. C’est l’antidote à l’aléa moral qui ronge le système public gratuit et déresponsabilisant.
Pour une Sécession salvatrice et un nouveau pacte social
Alors, que faire? Il faut laisser faire le marché, mais pas n’importe comment. Il faut organiser la sécession d’avec le monopole étatique.
Nous devons instaurer un « sac à dos social » attaché à la personne et non au statut. Chaque travailleur indépendant doit avoir l’obligation de s’assurer pour les gros risques, mais la liberté totale de choisir son prestataire parmi une offre de marché concurrentielle et régulée.
C’est là que le dialogue social doit retrouver ses lettres de noblesse, loin des salons dorés du paritarisme parisien. Au niveau des branches professionnelles (plateformes, VTC, services…), de véritables représentants des travailleurs, élus directement et non désignés par les centrales syndicales subventionnées, doivent négocier le « cahier des charges » de cette couverture avec les plateformes et les assureurs. « Nous voulons telles garanties, à tel prix ». Et que le meilleur gagne.
Ce système, fondé sur la liberté, la responsabilité et l’efficacité contractuelle, est la seule voie pour offrir au prolétariat contemporain la sécurité qu’il mérite, sans engraisser la bête bureaucratique qui nous étouffe. La protection sociale est une chose trop sérieuse pour être laissée aux mains de l’État.