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Complementaire santé

La solidarité au cœur du Comptoir des Branches de Malakoff Humanis

Le 2 décembre 2025, Malakoff Humanis a réuni ses partenaires dans un lieu conviviable pour une nouvelle édition du « Comptoir des branches ». Lancé en mai 2021 à l’initiative du groupe de protection sociale Malakoff Humanis, il agit comme un lieu d’échange et de co-construction pour les partenaires sociaux des branches professionnelles autour de la protection sociale. Ce rendez-vous s’est imposé comme un espace d’échange incontournable. À l’occasion des 10 ans du dispositif de solidarité, cette soirée était consacrée à la solidarité avec pour thème : « Fonds sociaux de branches : leviers de solidarité, de prévention et d’innovation ».

💡 Bon à savoir : Le Degré Élevé de Solidarité (DES)

Pour comprendre les enjeux de cette soirée, il faut saisir la mécanique du Degré Élevé de Solidarité. Mis en place il y a dix ans, ce dispositif repose sur une règle d’or financière : un prélèvement obligatoire d’au moins 2 % des cotisations du régime de prévoyance ou de santé de la branche.

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Cette manne financière n’est pas une simple réserve ; elle doit être redistribuée selon trois leviers stricts :

  1. L’exonération de cotisations pour aider certaines catégories (apprentis, temps partiels).
  2. La prévention collective (campagnes de santé publique).
  3. L’action sociale (aides individuelles aux salariés en difficulté).

L’objectif réglementaire est ambitieux : les branches doivent réussir à dépenser au moins 70 % de ces fonds chaque année pour qu’ils profitent réellement aux salariés.

En ouverture, Nicolas Desormière (Directeur commercial des Branches et des territoires, Malakoff Humanis) a salué la mobilisation des partenaires sociaux, soulignant que « le succès de la thématique » se mesure à l’affluence des partenaires. Pourtant, le dispositif fait face à un défi de déploiement. Les données suggèrent une tension entre une ingénierie de branche robuste, capable d’accumuler des réserves significatives (près de 50 millions d’euros consolidés), et la difficulté de « faire redescendre » ces fonds jusqu’au salarié final. Ce paradoxe constitue le fil rouge de l’analyse : comment transformer une obligation financière en valeur d’usage ?

Un bilan en demi-teinte

Dix ans après l’instauration du dispositif, le bilan dressé lors de cet événement révèle un paysage contrasté. Si la mécanique financière et juridique est désormais robuste, gérant des millions d’euros destinés à la protection sociale, une friction persiste entre la stratégie de haut niveau et son application concrète auprès du salarié final. La soirée a mis en lumière un paradoxe central : alors que les fonds sont disponibles et que les domaines d’intervention s’élargissent (cancer, violences intrafamiliales), la capacité à « faire redescendre » ces droits vers les bénéficiaires, en particulier dans les TPE, reste le défi majeur de la décennie à venir.

Fonds de solidarité : une décennie de structuration financière

Au fil de cette décennie, ce qui n’était qu’un concept réglementaire est devenu une machine administrative et financière complexe. Malakoff Humanis, acteur central de cette gestion, administre aujourd’hui près de 65 règlements de branche et 31 grands comptes, témoignant de la maturité administrative du système

Le modèle économique repose sur une exigence stricte : un prélèvement obligatoire dédié à la solidarité. Sophie Carré (Experte en fonds dédiés de Grands Comptes et de Branches Professionnelles, Malakoff Humanis) a insisté sur ce point non négociable : le modèle exige strictement un minimum de 2 % de cotisation. Cette manne financière a permis de constituer des réserves significatives. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : on évoque 50 millions d’euros au total au 31 décembre 2024, avec un flux annuel de 16 millions d’euros. Cependant, cette abondance de ressources soulève immédiatement une problématique de gestion : le sous-emploi des fonds. L’objectif affiché est de « dépenser au moins 70% de l’alimentation annuelle », précise Nicolas Desormiere, un seuil de performance qui nécessite une activation constante des leviers de dépense.

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Ces leviers sont clairement identifiés et se déploient en trois axes : l’exonération de cotisation pour certaines populations, la prévention collective, et l’action sociale individuelle. Si le premier axe est technique, les deux suivants requièrent une ingénierie sociale proactive que les branches peinent parfois à déployer uniformément.

Le retour au lien humain : le « Comptoir » comme antidote au tout-digital

Au-delà des chiffres, la dynamique des partenaires sociaux eux-mêmes a subi une transformation post-Covid. L’analyse des échanges révèle un échec relatif des formats purement numériques mis en place durant la pandémie.

Il apparaît clairement que la visioconférence a atteint ses limites pour fédérer les acteurs du paritarisme. Béatrice Taudou (Responsable Observatoires et services aux Branches, Malakoff Humanis) analyse ce phénomène avec lucidité, constatant que les formats numériques initiaux ont été moins performants que les rencontres présentielles. Elle souligne surtout une demande forte des partenaires, mus par « un besoin et une envie de se retrouver physiquement » pour renouer le dialogue social. 

Ce besoin de présentiel ne relève pas uniquement de la convivialité, mais d’une nécessité opérationnelle pour les syndicalistes. Ces derniers, souvent titulaires de multiples mandats traversant diverses entreprises et branches, souffrent d’un certain isolement sectoriel. Le concept de « Comptoir » ou de tiers-lieu leur offre un espace de respiration indispensable. Comme le souligne la Béatrice Taudou, ces lieux permettent de « voir leurs homologues d’autres branches » et de « trouver un espace pour s’inspirer », brisant ainsi les silos habituels de la négociation collective.

Extension de la solidarité : de la santé au travail aux enjeux de société

L’une des évolutions les plus marquantes de ces fonds de solidarité réside dans la nature des risques couverts. On observe un glissement de la simple « santé au travail » vers des problématiques sociétales et intimes.  Avec 42% des salariés ayant connu au moins un arrêt en 2024, l’absentéisme reste un indicateur surveillé de près via des observatoires analysant fréquence et gravité. Toutefois, les branches s’aventurent désormais sur des terrains plus complexes.

Sur le plan médical, les actions de prévention continuent de se renforcer. Fort du succès du service « Mon bilan cardio », qui a touché 50 000 personnes en France depuis 2022, le dispositif prépare une innovation majeure pour le second semestre 2026 : le lancement de « Mon bilan cancer ».

Au-delà de ces dépistages, les branches investissent désormais des sujets de société. On voit émerger des thématiques nouvelles comme la lutte contre les violences intrafamiliales ou la santé des jeunes, témoignant d’une volonté de protéger le salarié dans sa globalité, bien au-delà de son poste de travail.

L’approche se veut d’ailleurs chirurgicale et adaptée à la démographie spécifique de chaque secteur. L’exemple de la branche Hôtels-Cafés-Restaurants est probant. Plutôt que d’appliquer des programmes génériques, la stratégie a été adaptée à une population jeune : les actions ciblent ainsi le cancer du testicule plutôt que la prostate, car la branche rencontre « plus de problèmes de testicule » chez ses actifs.

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Cette adaptation va jusqu’à la prise en compte de la composition de genre : avec une main-d’œuvre féminine à 50%, la branche HCR a mis en place une aide à la précarité menstruelle de 100 euros par an. C’est un exemple frappant d’innovation sociale financée par le fameux 2% de solidarité.

Cependant, l’approche de la santé mentale révèle une complexité logistique supérieure. Contrairement à un bilan cardiologique ponctuel, le soin mental exige une récurrence qui favorise le renoncement. Béatrice Taudou met ainsi en lumière cette difficulté : « c’est pas du tout les mêmes contraintes que d’avoir un suivi régulier toutes les semaines ». Cette exigence rend l’observance beaucoup plus difficile à financer et à suivre pour les fonds sociaux.

Le mur de la TPE et le dilemme de la communication

Malgré ces innovations, un obstacle structurel majeur demeure : la structure même du tissu économique français. En effet, comme le précise  Béatrice Taudou, « 80 à 90 % des entreprises qu’on trouve dans les branches sont des TPE ».

Cette granularité rend la communication extrêmement ardue. Contrairement aux grands comptes, les TPE ne disposent pas de relais RH internes pour porter la bonne parole de la branche. Nicolas Desormiere qualifie d’ailleurs les salariés des TPE comme la cible « la plus difficile à mobiliser ».

Ici réside une contradiction fondamentale, ou du moins une tension, dans la gouvernance des fonds. D’un côté, il y a une volonté d’action ; de l’autre, une réserve culturelle quant au financement de la communication nécessaire pour faire connaître ces actions.

Le dilemme est budgétaire, comme l’exprime Béatrice Taudou : « Pour les partenaires sociaux, la priorité c’est de mettre des moyens sur les actions », car ils souhaitent que « le maximum aille au salarié ». En conséquence, investir dans la communication avec ces mêmes fonds s’avère « beaucoup plus compliqué », les partenaires mettant souvent « du temps à décider ». 

Il y a ici un cercle vicieux : l’argent est réservé aux prestations pour maximiser le retour au salarié, mais faute de budget communication, le salarié ignore parfois qu’il a droit à ces prestations, entraînant le sous-emploi des fonds mentionné plus haut.

La fracture numérique et le paradoxe du papier

La technologie, souvent présentée comme la solution miracle, montre ici ses limites. Malakoff Humanis a certes investi dans des outils de pilotage modernes, déployant notamment quatre tableaux de bord Power BI pour suivre avec précision les régimes et les effectifs. Mais ces outils de gestionnaires se heurtent à la réalité du terrain.

Les disparités d’usage entre branches sont flagrantes. Si la branche des Bureaux d’Études est culturellement connectée, celle de l’Hôtellerie de Plein Air compte une bonne proportion de salariés qui sont saisonniers, et est en fracture numérique partielle. L’ampleur du défi est chiffrée : pour  4000 salariés identifiés au niveau de la branche HPA, 56 % seulement peuvent être adressés par mail.  

Plus préoccupant encore, l’efficacité de l’emailing est remise en question. Les taux d’ouverture sont faibles : « moins d’un tiers » pour les entreprises et moins de 50% pour les salariés. 

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Face à ce constat, une observation intéressante émerge : le retour aux méthodes traditionnelles semble parfois plus pertinent en termes de résultats. Une expérience pilote menée dans la métallurgie, combinant papier et multicanal, a généré « presque six fois plus de dossiers traités ». Ce fait nuance le dogme du « tout digital » pour les populations ouvrières ou de terrain.

L’enjeu de la « Redescente » : le lien entre théorie et pratique

C’est dans l’analyse qualitative des retours que la remarque la plus constructive émerge. Si les participants saluent la gestion macro-économique (niveau branche), ils soulignent le défi persistant de la connexion micro-économique (niveau salarié).

Olivier Lefebvre (secrétaire fédéral FO Métaux) résume ce sentiment en pointant le chaînon manquant : la « redescente » de l’information. Il souligne que si l’action est bien tangible à l’échelle de la branche, la difficulté majeure reste de trouver des canaux efficaces pour transmettre ces dispositifs au collectif des salariés.

Cette observation souligne que l’existence d’un fonds de solidarité, même bien doté, reste théorique si l’information ne traverse pas les couches hiérarchiques. Il y a une distinction marquée entre la « sphère de la pensée » (les décideurs paritaires, les gestionnaires) et la « sphère terrain ». Le dispositif souffre d’un déficit de notoriété significatif : le salarié ne sait pas toujours que la branche a quelque chose à lui offrir.

De plus, une disparité de facto est soulevée. Les initiatives brillantes présentées (comme celles de la branche HCR) ne sont pas universellement reproductibles. Comme le note une juriste en affaires sociales de la branche OF, « ça dépend des fonds qu’on a », soulignant qu’il est « difficile sur chaque branche […] d’appliquer la même chose ». La solidarité de branche risque ainsi de créer des dynamiques variables selon la richesse du secteur.

L’Assistance Sociale : le visage humain de la solidarité

En bout de chaîne, lorsque la prévention et l’information ont échoué ou que l’accident de vie survient, le dispositif repose sur l’humain. Comme l’indique Mylène Mongère (Responsable Pôle accompagnement social DESS, Malakoff Humanis) un numéro unique (39 96) géré par une équipe de 20 personnes centralise les détresses. Il est intéressant de noter que la demande n’est pas uniquement pécuniaire : « L’aide financière, c’est à peu près 40% des appels », le reste relevant de l’écoute et de l’orientation. Cela confirme que le besoin des salariés dépasse le simple chèque : ils cherchent un accompagnement dans le maquis des dispositifs.

Pour résumer, les fonds sociaux de branche disposent aujourd’hui de la maturité technique, des ressources financières (malgré des disparités) et de l’agilité thématique pour adresser des sujets de société majeurs. Cependant, l’ensemble des constats révèle que le système bute encore sur le « dernier kilomètre ».

La tension entre la volonté de préserver les fonds pour l’action directe et la nécessité d’investir massivement dans la communication (y compris papier) pour toucher les TPE doit être résolue. Sans une amélioration de la « redescente » de l’information, l’objectif de consommer 70% des ressources restera difficile à atteindre, et la solidarité restera, pour beaucoup de salariés, un concept abstrait bloqué dans la « sphère de la pensée ».