Publié au Bulletin civil, cet arrêt est considéré comme LE grand arrêt de référence en matière d’évaluation professionnelle en droit du travail français.

1. Les faits
La société Nikon France avait mis en place un système d’entretiens annuels d’évaluation très structuré, comportant une grille avec plus de 70 critères, dont une grande partie portait sur le comportement et la personnalité du salarié (ex. : « dynamisme », « enthousiasme », « capacité à convaincre », « esprit d’équipe », « sens de l’organisation », etc.).
Le syndicat CGT et plusieurs salariés ont contesté ce système, estimant qu’il portait atteinte à la vie privée et à la dignité des personnes en évaluant des traits de personnalité plutôt que le travail effectif.
2. La position des juges du fond (CA Paris, 1998)
La cour d’appel de Paris avait validé globalement le système, en considérant que :
- l’employeur a le droit d’évaluer le « savoir-être »,
- les critères, même nombreux et parfois généraux, restaient liés à l’activité professionnelle.
3. Le revirement de la Cour de cassation (2 octobre 2001)
La chambre sociale casse totalement l’arrêt d’appel et pose trois principes fondamentaux qui sont encore aujourd’hui la base de toute la jurisprudence sur l’évaluation :
Principe n°1
L’employeur a bien le droit, dans le cadre de son pouvoir de direction, d’évaluer la valeur professionnelle de ses salariés (c’était déjà admis).
Principe n°2 – le cœur de l’arrêt
Les méthodes et techniques d’évaluation professionnelle doivent être pertinentes et doivent reposer sur des critères objectifs.
La Cour énonce pour la première fois la formule devenue célèbre :
« Les méthodes d’évaluation des salariés doivent reposer sur des critères objectifs et pertinents relatifs à la valeur professionnelle. »
Principe n°3
Lorsque l’évaluation porte sur des aptitudes comportementales ou des traits de personnalité, elle doit respecter deux conditions cumulatives :
- les critères doivent avoir un lien direct et nécessaire avec l’emploi occupé ou avec les objectifs professionnels,
- ils doivent être précis, connus à l’avance et permettre une appréciation objective (et non subjective ou arbitraire).
Dans le cas Nikon, la Cour reproche à la grille :
- d’être trop abondante (plus de 70 items),
- de contenir des critères trop généraux et subjectifs (ex. « enthousiasme », « dynamisme »),
- de permettre une évaluation trop large de la personnalité, sans lien suffisant avec les exigences concrètes du poste.
4. Conséquences immédiates de l’arrêt
- L’ensemble du système d’évaluation Nikon a été jugé illégitime.
- De très nombreuses entreprises ont dû, dans les années suivantes, revoir complètement leurs grilles d’entretiens annuels (suppression ou reformulation des items trop psychologiques : « charisme », « moral », « enthousiasme », etc.).
5. Portée et postérité de l’arrêt Nikon
C’est l’arrêt de principe qui a posé le triptyque toujours en vigueur : Précision + Objectivité + Pertinence (lien direct et nécessaire avec l’emploi)Tous les arrêts ultérieurs sur l’évaluation (y compris celui de la Laitière de Vitré de 2025 que vous venez de lire) se réfèrent directement ou indirectement à Nikon.Exemples de critères rejetés après Nikon :
- « enthousiasme », « dynamisme », « moral », « charisme », « optimisme », « honnêteté », « bon sens » → jugés trop subjectifs ou moralisateurs. Exemples de critères généralement acceptés (si bien formulés) :
- « respect des délais », « qualité du relationnel client », « capacité à transmettre l’information dans l’équipe », « aptitude à gérer les priorités ».
Conclusion
L’arrêt Nikon de 2001 a marqué une rupture majeure : l’évaluation n’est plus un domaine totalement libre pour l’employeur. Dès qu’on touche au comportement ou à la personnalité, le juge exerce un contrôle de proportionnalité et d’objectivité très strict.
C’est cet arrêt qui a ouvert la voie à toutes les décisions ultérieures, dont l’arrêt Laitière de Vitré de 2025 qui n’en est finalement qu’une application particulièrement sévère 24 ans plus tard.