L’arrêt du 22 octobre 2025 renforce l’obligation de l’employeur de consulter le médecin du travail en cas de contestation du salarié sur la compatibilité du poste de reclassement proposé.
L’employeur doit fournir un descriptif précis du poste et solliciter un nouvel avis médical si le salarié refuse le poste proposé.
Le licenciement pour inaptitude sans respect de cette procédure est jugé sans cause réelle et sérieuse, exposant l’employeur à des dommages-intérêts.
L’article L. 1235-4 du Code du travail, relatif au remboursement des indemnités chômage, ne s’applique pas aux licenciements pour inaptitude d’origine professionnelle.
Cet arrêt confirme la nécessité d’un dialogue tripartite rigoureux entre employeur, salarié et médecin du travail pour garantir un reclassement loyal et conforme aux préconisations médicales.
Introduction
L’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 22 octobre 2025 (n° 24-14.641) illustre les exigences juridiques strictes encadrant le reclassement des salariés déclarés inaptes à leur poste pour des raisons médicales, notamment en cas de maladie professionnelle. Cette décision met en lumière les obligations précises de l’employeur, les droits du salarié, ainsi que les sanctions applicables en cas de manquement. Elle constitue une référence majeure pour comprendre les contours de la procédure de reclassement et les conséquences d’un licenciement jugé abusif dans ce contexte. Cette analyse détaillée s’adresse tant aux employeurs qu’aux salariés afin de les éclairer sur leurs droits et devoirs respectifs.
Contexte et faits
Parcours professionnel et médical du salarié
Le salarié, embauché en 2007 en qualité de monteur vendeur, a vu son contrat de travail transféré en 2011 à la société Juroma. En 2014, il a été placé en arrêt de travail à la suite d’une maladie professionnelle reconnue en 2015. En octobre 2019, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à son poste initial, tout en précisant qu’il pouvait occuper un poste de vendeur, sous réserve de ne pas effectuer de gestes répétitifs des membres supérieurs ni de mouvements des bras au-dessus des épaules.
Chronologie des événements administratifs et médicaux
1er octobre 2019 : Avis d’inaptitude du médecin du travail, indiquant que le salarié peut occuper un poste de vendeur sans gestes répétitifs ni bras au-dessus des épaules.
11 septembre 2019 : Visite de pré-reprise avec étude de poste.
17 octobre 2019 : Courrier de l’employeur au médecin du travail confirmant que le poste de vendeur respecte les préconisations médicales.
29 novembre 2019 : Licenciement du salarié pour inaptitude et impossibilité de reclassement, après refus du salarié d’accepter le poste de vendeur proposé.
Enjeux du litige
Le salarié a contesté son licenciement devant la juridiction prud’homale, arguant que l’employeur n’avait pas respecté son obligation de reclassement loyal, notamment en ne consultant pas à nouveau le médecin du travail après son refus du poste proposé. Il a également demandé le remboursement des indemnités chômage versées par Pôle emploi. L’employeur a défendu sa position en affirmant que le poste proposé était conforme aux préconisations médicales et que le licenciement était justifié.
Analyse des questions de droit et de la décision de la Cour
Obligation de reclassement et consultation du médecin du travail
L’employeur est tenu, en cas d’inaptitude d’un salarié, de proposer un poste adapté aux capacités médicales de ce dernier, en tenant compte des préconisations du médecin du travail (articles L. 1226-10, L. 1226-12 et L. 1226-15 du Code du travail). La Cour de cassation rappelle que cette obligation ne se limite pas à une simple proposition : l’employeur doit solliciter un nouvel avis du médecin du travail si le salarié conteste la compatibilité du poste proposé avec les préconisations médicales.
En l’espèce, la Cour a jugé que l’employeur n’avait pas satisfait à cette obligation. En effet, bien que le médecin du travail ait indiqué que le salarié pouvait occuper un poste de vendeur, l’employeur n’avait pas fourni un descriptif précis des tâches à accomplir dans ce poste. Le courrier du 17 octobre 2019 ne détaillait pas les missions concrètes du poste de vendeur, et le médecin du travail n’avait pas validé ce poste au vu d’un descriptif précis. Par conséquent, l’employeur aurait dû reconsulter le médecin du travail après le refus du salarié pour valider ou ajuster la proposition.
Application de l’article L. 1235-4 du Code du travail
L’article L. 1235-4 prévoit que le juge peut ordonner le remboursement par l’employeur fautif des indemnités de chômage versées au salarié licencié, dans la limite de six mois. Cependant, la Cour de cassation a rappelé que cette disposition ne s’applique pas aux licenciements pour inaptitude d’origine professionnelle, qui relèvent des articles L. 1226-10 et suivants du Code du travail. Ces derniers prévoient des règles spécifiques et excluent le remboursement des indemnités chômage.
Ainsi, la Cour a cassé partiellement l’arrêt de la cour d’appel d’Angers qui avait ordonné le remboursement des indemnités chômage à Pôle emploi, confirmant que cette sanction pécuniaire n’est pas applicable dans le cadre d’un licenciement pour inaptitude liée à une maladie professionnelle.
Synthèse des obligations et sanctions
Étape
Obligation de l’employeur
Droit du salarié
Sanction en cas de manquement
Avis d’inaptitude
Consulter le médecin du travail
Recevoir un avis écrit précis
Nullité de la procédure
Proposition de reclassement
Fournir un descriptif précis du poste
Refuser si incompatible avec avis médical
Licenciement sans cause réelle et sérieuse
Contestation du salarié
Reconsulter le médecin du travail
Demander une nouvelle évaluation médicale
Condamnation à des dommages-intérêts
Licenciement
Justifier l’impossibilité de reclassement
Contester devant les prud’hommes
Indemnisation du salarié
Résumé opérationnel pour les salariés et les employeurs
Pour les employeurs
Obligations clés :
Consulter systématiquement le médecin du travail avant toute proposition de reclassement.
Fournir un descriptif détaillé du poste proposé (tâches, contraintes physiques, aménagements).
En cas de refus du salarié, reconsulter immédiatement le médecin du travail pour valider ou ajuster la proposition.
Documenter par écrit tous les échanges avec le médecin du travail et le salarié (courriers, comptes-rendus de visites).
Risques :
Licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse en cas de manquement.
Condamnation à des dommages-intérêts.
Pas de remboursement des indemnités chômage à Pôle emploi pour les inaptitudes d’origine professionnelle (sauf exceptions).
Recevoir un avis médical précis sur les restrictions liées à l’inaptitude.
Contester un poste de reclassement jugé incompatible avec les préconisations médicales.
Demander une nouvelle consultation du médecin du travail en cas de doute.
Saisir les prud’hommes en cas de licenciement abusif.
Recours :
Obtenir des dommages-intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Pas de remboursement automatique des indemnités chômage (sauf cas exceptionnels).
Conclusion
L’arrêt de la Cour de cassation du 22 octobre 2025 constitue une décision phare qui renforce le cadre juridique protecteur des salariés inaptes d’origine professionnelle. Il impose à l’employeur une obligation rigoureuse de consultation du médecin du travail, notamment en cas de contestation du salarié, et exige un descriptif précis du poste proposé. Le non-respect de ces obligations expose l’employeur à des sanctions financières lourdes, tandis que le salarié dispose de moyens de recours efficaces pour faire respecter ses droits. Cet arrêt souligne l’importance d’un dialogue tripartite clair et documenté entre employeur, salarié et médecin du travail, afin de garantir un reclassement loyal et conforme aux préconisations médicales.