C’est une page de l’histoire industrielle française qui se tourne dans la douleur. L’annonce de la fermeture de l’usine Blédina de Villefranche-sur-Saône ne se résume pas à une simple « rationalisation » de l’outil de production du groupe Danone. Par sa charge symbolique et ses justifications économiques, ce dossier est devenu, en quelques jours, l’emblème inquiétant d’une agro-industrie tricolore en perte de vitesse.

Pour comprendre l’onde de choc, il faut regarder le calendrier : cela fait 140 ans que l’on produit à Villefranche. Ce site est le berceau historique de la « Blédine », un produit ancré dans la mémoire collective nationale. Voir fermer une telle forteresse envoie un message brutal : aucun bastion, aussi patrimonial soit-il, n’est immunisé contre la logique comptable mondiale.
Ce qui cristallise les tensions, c’est la destination du transfert. La production ne sera pas relocalisée ailleurs dans l’Hexagone, mais partira majoritairement en Pologne, à l’usine d’Opole. Pour les syndicats et les élus locaux, c’est l’illustration parfaite des failles du marché unique européen : une concurrence interne où la France peine à s’aligner sur les coûts de production de ses voisins de l’Est.
La « faute » à la démographie ?
L’argumentaire de Danone mérite toutefois qu’on s’y attarde, car il révèle une autre fracture française. Le groupe justifie cette décision par une chute structurelle des volumes : la dénatalité. Avec un nombre de naissances au plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale, le marché des petits pots se contracte mécaniquement.
L’équation est cruelle mais factuelle : moins de bébés, c’est moins de consommateurs. L’industrie agroalimentaire est ici la victime collatérale d’un déclin démographique que les politiques publiques peinent à endiguer.
L’arbre qui cache la forêt
Si le cas Blédina fait la « Une », c’est aussi parce qu’il s’ajoute à une liste noire qui s’allonge dangereusement en cette période 2024-2025. Le secteur agroalimentaire, premier employeur industriel de France, vacille sur ses bases.
Il suffit de regarder la carte des restructurations récentes pour mesurer l’ampleur des dégâts :
- Dans les Vosges, Nestlé Waters réduit la voilure sur Vittel (171 postes supprimés), rattrapé par les aléas climatiques et réglementaires.
- Dans la Meuse, Bonduelle menace de fermer son site de salades de Maizey (159 emplois), pris en étau par la guerre des prix et la montée des marques distributeurs.
- En Bretagne, terre nourricière par excellence, les inquiétudes montent pour Saupiquet à Quimper et la filière viande souffre, comme l’a montré la fermeture de l’abattoir de Quintin Viandes.
Le mythe de la souveraineté
Au final, la fermeture de Villefranche-sur-Saône agit comme un révélateur. Elle met à mal le discours politique sur la « souveraineté alimentaire ». Comment prôner l’indépendance agricole si la transformation des produits, même les plus sensibles comme l’alimentation infantile, finit par franchir les frontières ?
Entre l’effritement de sa compétitivité-coût et l’affaissement de sa démographie, l’industrie agroalimentaire française est à la croisée des chemins. Le départ de Blédina vers la Pologne n’est peut-être pas une anomalie, mais le prélude d’une nouvelle normalité économique.
Ce qu’il faut retenir :
La tendance : Un secteur agroalimentaire en crise systémique (Nestlé, Bonduelle, Saupiquet sont aussi touchés).
Le symbole : Fermeture d’un site historique de 140 ans.
La cause : Une combinaison de baisse de la natalité (marché en recul) et de recherche de compétitivité (transfert vers la Pologne).