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Droit du travail

Le harcèlement managérial systémique : la Cour de Cassation durcit sa définition

Dans la galaxie du harcèlement moral, le harcèlement managérial systémique constitue désormais une forme courante. Face à sa prolifération, la Cour de Cassation vient de rendre un arrêt important que chacun gagnera à bien connaître.

L’évolution du droit du travail français est marquée par une tension perpétuelle entre deux pôles normatifs : d’une part, le pouvoir de direction de l’employeur, nécessaire à la bonne marche de l’entreprise et à la performance économique ; d’autre part, la protection des droits fondamentaux du salarié, qui ne s’arrêtent pas aux portes de l’entreprise. Cette dialectique, moteur de la production jurisprudentielle, a connu un moment de cristallisation décisif le 10 décembre 2025.

La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt voué à une large publicité (FS-B), a tranché un litige opposant la société Pronovias France à l’une de ses anciennes salariées, Mme. Au-delà des faits d’espèce, cette décision, enregistrée sous le numéro de pourvoi 24-15.412 1, résonne comme un rappel à l’ordre solennel adressé à l’ensemble des acteurs du monde du travail. Elle vient préciser, avec une rigueur chirurgicale, les frontières de l’immixion patronale dans la sphère privée et redéfinir les contours de la preuve en matière de risques psychosociaux.

Le contexte de cet arrêt est celui d’une montée en puissance des contentieux liés à la souffrance au travail et à la protection des données personnelles de santé. Alors que les technologies de communication et les nouvelles méthodes de management tendent à flouter les limites entre vie professionnelle et vie personnelle, la Haute Juridiction réaffirme ici l’intangibilité du secret médical et l’objectivation du harcèlement moral.

Cette chronique a pour vocation d’analyser de manière exhaustive les apports de cette décision. Il ne s’agit pas simplement de commenter une solution juridique, mais de disséquer les mécanismes intellectuels et normatifs qui ont conduit la Cour à prononcer la nullité d’un licenciement et à censurer une méthode d’appréciation du harcèlement. Nous explorerons, dans une première partie, la sacralisation du secret médical comme rempart absolu contre le pouvoir de contrôle de l’employeur. Dans une seconde partie, nous détaillerons la doctrine de la Cour sur le harcèlement managérial systémique. Enfin, nous en tirerons les conséquences pratiques et stratégiques pour la gestion des ressources humaines et le contentieux social.

I. L’intangibilité du secret médical : une frontière infranchissable pour l’employeur

L’apport le plus spectaculaire, et sans doute le plus immédiat dans ses conséquences, de l’arrêt du 10 décembre 2025 concerne la protection du secret médical. La Cour de cassation érige ici une barrière infranchissable, transformant une maladresse ou un excès de zèle de l’employeur en une faute lourde de conséquences juridiques : la nullité du licenciement.

A. La genèse du conflit : l’investigation illicite

Pour saisir la portée de la décision, il convient de revenir sur la matérialité des faits. La salariée, engagée en 2012, a fait l’objet d’un licenciement pour cause réelle et sérieuse le 31 août 2018.2 Au cœur du dossier disciplinaire monté par l’employeur se trouvait une démarche proactive de vérification de l’état de santé de la salariée.

L’employeur, suspectant probablement une irrégularité ou cherchant à contester la légitimité d’un arrêt de travail ou d’une attitude de la salariée, a pris l’initiative de contacter directement son médecin traitant. Cette démarche ne s’est pas limitée à une simple prise de contact administrative ; l’employeur a obtenu et exploité des informations couvertes par le secret médical, notamment des détails sur la pathologie de la salariée et sur la teneur des échanges tenus lors de la consultation médicale.3 Ces éléments ont ensuite été intégrés à la lettre de licenciement pour justifier la rupture, l’employeur reprochant à la salariée d’avoir sollicité un certificat de complaisance ou d’avoir agi en rétorsion à un avis de la médecine du travail.4

Cette méthode d’investigation, que l’employeur pensait peut-être justifiée par son droit de contrôler l’exécution loyale du contrat de travail, s’est heurtée de plein fouet à la protection constitutionnelle et conventionnelle de la vie privée.

B. Le fondement juridique : la primauté des libertés fondamentales

Le raisonnement de la Chambre sociale s’ancre dans les textes les plus élevés de la hiérarchie des normes. La Cour vise conjointement l’article L. 1121-1 du Code du travail, qui dispose que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché, et l’article 9 du Code civil sur le respect de la vie privée, ainsi que l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

La Cour pose un principe d’une clarté absolue : le droit au respect de la vie privée du salarié s’étend nécessairement à son état de santé et à la confidentialité de ses relations avec son médecin traitant.2 En conséquence, l’employeur ne dispose d’aucune prérogative pour s’immiscer dans cette relation confidentielle.

Il est crucial de noter que la Cour rejette toute argumentation fondée sur la « justification légitime ». L’employeur ne peut invoquer ni la suspicion de fraude, ni la nécessité de prouver une faute, ni l’exercice des droits de la défense pour justifier un contact direct avec le médecin traitant. Contrairement à d’autres domaines où un contrôle de proportionnalité est opéré (comme la surveillance informatique), l’intrusion dans le secret médical est ici traitée comme une interdiction absolue. Le secret médical n’est pas une variable d’ajustement ; il est un absolu.

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C. La sanction : de l’absence de cause à la nullité du licenciement

L’aspect le plus redoutable de cet arrêt réside dans la sanction retenue. La Cour de cassation ne se contente pas de dire que la preuve est illicite et doit être écartée, ce qui aurait pu laisser subsister le licenciement s’il était fondé sur d’autres griefs. Elle va beaucoup plus loin en appliquant la théorie de la « contamination ».

Selon l’arrêt, le fait que le motif du licenciement soit fondé, « même en partie », sur des informations recueillies en violation du secret médical constitue une atteinte à une liberté fondamentale. Or, en droit du travail français, la violation d’une liberté fondamentale entraîne la nullité du licenciement.3

Cette distinction entre licenciement « sans cause réelle et sérieuse » et licenciement « nul » est capitale sur le plan financier et stratégique pour les entreprises, comme pour les salariés.

La nullité emporte des conséquences drastiques :

  1. Droit à la réintégration : le salarié peut demander à retrouver son poste ou un poste équivalent, l’employeur ne pouvant s’y opposer (sauf impossibilité matérielle absolue).
  2. Indemnisation intégrale : si le salarié ne demande pas sa réintégration, ou si celle-ci est impossible, il a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
  3. Éviction du « Barème Macron » : surtout, les plafonds d’indemnisation fixés par l’article L. 1235-3 du Code du travail (le fameux barème Macron) sont écartés par l’article L. 1235-3-1 en cas de nullité pour violation d’une liberté fondamentale. Le juge retrouve son pouvoir souverain d’appréciation pour réparer l’intégralité du préjudice subi, sans limitation de montant.

Ainsi, en contactant le médecin traitant, l’employeur a transformé un risque financier plafonné (lié à l’ancienneté) en un risque financier potentiellement illimité.

D. Mise en perspective : l’arrêt au regard de la jurisprudence sur la preuve déloyale

Il est intellectuellement stimulant de confronter cet arrêt du 10 décembre 2025 à la jurisprudence récente de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 22 décembre 2023 (n° 20-20.648).6 Dans cet arrêt antérieur, la Cour avait opéré un revirement spectaculaire en admettant que des preuves obtenues de manière déloyale (par exemple, des enregistrements clandestins) pouvaient être recevables dans un procès civil, sous réserve d’être indispensables à l’exercice du droit à la preuve et strictement proportionnées.

On pourrait alors s’interroger : pourquoi l’appel au médecin traitant n’est-il pas analysé sous ce prisme de la proportionnalité? Pourquoi est-il exclu de plano, sans mise en balance?

La réponse réside dans la nature même du secret violé. L’arrêt de 2023 concernait la « loyauté de la preuve », un principe procédural. L’arrêt de 2025 touche à la « substance » même de la vie privée et du secret médical. Le secret médical est un pilier de l’ordre public social et sanitaire. Permettre à un employeur de le percer au nom de son « droit à la preuve » reviendrait à détruire la confiance nécessaire à la relation de soin. La Cour signifie ici que certaines barrières éthiques et légales sont absolues et ne sauraient céder devant les impératifs probatoires de l’entreprise.

E. Les voies légales de contrôle : ce que l’employeur aurait dû faire

La sévérité de la Cour s’explique aussi par l’existence de voies de droit spécifiques que l’employeur a choisi d’ignorer. Le législateur a prévu des mécanismes précis pour permettre à l’employeur de vérifier la réalité de l’état de santé de ses salariés, sans pour autant violer leur intimité.3

Face à un doute sur un arrêt maladie, l’employeur disposait de deux options exclusives :

  1. La contre-visite médicale patronale : l’employeur peut mandater un médecin contrôleur (indépendant du médecin traitant et du médecin du travail) pour examiner le salarié à son domicile ou au cabinet. Ce médecin se prononce uniquement sur la justification administrative de l’arrêt (l’arrêt est-il médicalement justifié?), sans révéler la pathologie à l’employeur.
  2. Le signalement à la Sécurité Sociale : l’employeur peut saisir la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) pour demander un contrôle administratif des arrêts de travail.

En court-circuitant ces intermédiaires habilités pour s’adresser directement au soignant, l’employeur s’est arrogé un pouvoir d’enquête qu’il ne détient pas. La jurisprudence du 10 décembre 2025 rappelle que la gestion de l’absentéisme doit se faire dans le strict respect des procédures légales, qui sont les garantes de l’équilibre entre contrôle et vie privée.

II. L’objectivation du harcèlement managérial : vers une responsabilité systémique

Le second volet de l’arrêt 24-15.412 est tout aussi structurant pour la pratique du droit social. Il concerne la définition et le régime de preuve du harcèlement moral, spécifiquement dans sa déclinaison « managériale ». La Cour censure l’arrêt de la cour d’appel de Paris pour avoir adopté une vision trop étriquée et individualisée de la souffrance au travail.

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A. La reconnaissance du harcèlement « non-personnel »

Traditionnellement, le harcèlement moral est perçu comme une relation interpersonnelle toxique : un harceleur persécute une victime désignée. Cette vision est cependant dépassée par la réalité des organisations modernes, où la violence peut être institutionnelle, découlant de méthodes de gestion, de réorganisations brutales ou d’une culture de la pression.

L’arrêt du 10 décembre 2025 valide explicitement le concept de harcèlement managérial « environnemental » ou « systémique ». La Cour énonce qu’un « harcèlement moral d’ordre managérial peut être caractérisé sans qu’il soit nécessaire pour le salarié de démontrer qu’il a été personnellement visé par ce harcèlement ».7

Cette formulation est lourde de sens. Elle signifie que l’élément intentionnel du harcèlement (la volonté de nuire à cette personne) n’est plus requis. Ce qui compte, c’est l’impact objectif des méthodes de gestion sur les conditions de travail.

  • Si un manager impose des objectifs inatteignables à toute son équipe.
  • Si un directeur instaure une culture de la peur ou de la surveillance généralisée.
  • Si l’organisation du travail prive les salariés des moyens d’effectuer correctement leurs tâches.

Dans ces cas, chaque salarié exposé à cette ambiance délétère peut se prétendre victime de harcèlement moral, même si le manager n’a jamais eu de mots déplacés envers lui spécifiquement. Le harcèlement devient une caractéristique objective de l’environnement de travail, indépendante des relations interpersonnelles.

B. La méthode du faisceau d’Indices : La Fin du « Saucissonnage »

Sur le plan procédural, la Cour de cassation rappelle à l’ordre les juges du fond quant à la méthode d’appréciation des faits de harcèlement. Elle s’appuie sur les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du Code du travail pour censurer la méthode analytique fragmentée utilisée par la cour d’appel.9

Les juges d’appel avaient procédé à un examen séquentiel de chaque grief invoqué par la salariée. Ils avaient pris chaque fait isolément (un refus de congé, une remarque acerbe, un changement de poste), et pour chacun, avaient cherché si l’employeur apportait une justification. Constatant que chaque fait pris séparément pouvait trouver une explication ou ne suffisait pas à caractériser le harcèlement, ils avaient rejeté la demande.

Cette méthode du « saucissonnage » (ou syllepsis en rhétorique) est formellement condamnée. La Cour impose une approche holistique :

  1. L’étape de la matérialité : le juge doit d’abord considérer tous les faits présentés par le salarié (y compris les certificats médicaux attestant de son anxiété).
  2. L’étape de la présomption globale : il doit se demander si ces faits, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement. C’est l’accumulation, la répétition et la concomitance des faits qui créent le tableau du harcèlement, même si chaque touche de peinture prise isolément semble anodine.
  3. L’étape de la preuve contraire : ce n’est que si cette présomption globale est établie que l’employeur doit prouver que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

C. L’héritage des jurisprudences « Snecma » et « France Télécom »

Cet arrêt ne surgit pas du néant juridique. Il s’inscrit dans une filiation doctrinale claire. Il consolide la jurisprudence « Snecma » (Cass. soc., 5 mars 2008) qui avait admis pour la première fois que des méthodes de gestion pouvaient caractériser un harcèlement moral si elles se manifestaient pour un salarié déterminé par des agissements répétés.

Plus encore, il fait écho à l’affaire pénale « France Télécom » (devenue Orange), où les dirigeants ont été condamnés pour harcèlement moral institutionnel. La Cour de cassation civile aligne ici sa position sur cette vision pénale : l’organisation du travail peut être pathogène par nature. L’absence d’intention de nuire à une personne spécifique ne dédouane pas l’employeur de son obligation de sécurité. Au contraire, elle souligne sa responsabilité dans la mise en place d’un système délétère.

III. Implications pratiques et stratégies de conformité

L’analyse de cet arrêt ne saurait être complète sans en tirer les conséquences opérationnelles pour les praticiens du droit et les gestionnaires des ressources humaines. La décision du 10 décembre 2025 impose une révision des protocoles internes de gestion des risques.

A. Protocole de gestion des arrêts maladie

Face à la censure de la Cour, les entreprises doivent impérativement auditer leurs pratiques de contrôle de l’absentéisme. Il ne s’agit plus seulement d’une question de bonnes pratiques, mais de survie juridique des licenciements.

Un protocole strict doit être mis en place, formalisant les réactions autorisées en cas de doute sur la validité d’un arrêt de travail. Ce protocole peut être modélisé sous la forme d’un arbre décisionnel, transcrivant la logique juridique en étapes opérationnelles :

  1. Réception de l’arrêt maladie : l’employeur reçoit l’avis d’arrêt de travail. S’il n’a aucun doute, la procédure standard de paie et de subrogation s’applique.
  2. Survenance d’un doute : si l’employeur a des raisons de douter (fréquence des arrêts, rumeurs d’activité concurrente, concomitance avec un refus de congés), une « zone de danger » s’ouvre.
  3. Interdiction absolue (Zone Rouge) : il est impératif de ne jamais contacter le cabinet médical du salarié. Aucun appel, aucun courrier, aucune demande d’explication au médecin traitant n’est tolérable. Toute information obtenue par ce biais contaminerait irrémédiablement une éventuelle procédure de licenciement ultérieure, entraînant sa nullité.
  4. Actions autorisées (Zone Verte) :
  • Action 1 : déclencher une contre-visite médicale via un organisme mandaté. Si le médecin contrôleur conclut à l’absence de justification médicale, l’employeur peut suspendre le complément de salaire (sanction financière), mais cela ne suffit pas en soi à justifier un licenciement disciplinaire (sauf fraude avérée constatée par ailleurs).
  • Action 2 : faire un signalement écrit et motivé au service du contrôle médical de la CPAM. C’est à l’organisme de sécurité sociale qu’il appartient de suspendre les indemnités journalières et de contrôler la déontologie du praticien.
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En respectant ce chemin critique, l’entreprise exerce son pouvoir de contrôle sans franchir la ligne rouge de la vie privée.

B. Audit du climat social et prévention du harcèlement managérial

Sur le volet du harcèlement, l’arrêt oblige les DRH à dépasser la gestion au cas par cas pour adopter une approche systémique.

  1. Détection des signaux faibles : puisque le harcèlement peut être caractérisé sans visée personnelle, l’entreprise doit surveiller les indicateurs collectifs : taux de turnover élevé dans un service, multiplication des arrêts maladie de courte durée, usage massif du droit de retrait, alertes du CSE. Ces éléments sont autant de preuves potentielles d’un harcèlement managérial global.
  2. Formation des managers : il est urgent de former l’encadrement non seulement aux aspects techniques du métier, mais aussi aux risques juridiques liés au comportement. Un manager « performant » économiquement mais qui épuise ses équipes fait courir un risque financier majeur à l’entreprise (condamnations multiples, nullité des licenciements pour inaptitude).
  3. Enquêtes internes : en cas d’alerte, l’enquête interne ne doit pas se focaliser uniquement sur la relation duelle plaignant/mis en cause. Elle doit impérativement interroger le climat général du service. « Est-ce que M. X crie sur tout le monde? » Si la réponse est oui, ce n’est pas une défense pour M. X, c’est une aggravation de la charge pour l’entreprise (harcèlement managérial caractérisé).

C. Stratégie contentieuse pour les avocats

Pour les avocats conseillant les salariés, cet arrêt ouvre de nouvelles perspectives :

  • Plaider la nullité : systématiser la recherche de l’origine des pièces médicales versées aux débats par l’employeur. Si une pièce semble provenir d’un échange direct avec le médecin, la nullité doit être plaidée, permettant de contourner les barèmes d’indemnisation.
  • Preuve du harcèlement : ne plus hésiter à produire des attestations de collègues qui ne sont pas directement témoins des faits subis par le requérant, mais qui peuvent témoigner de l’ambiance générale. Ces témoignages deviennent pertinents pour prouver le caractère « managérial » du harcèlement.

Pour les avocats d’employeurs, la défense devient plus complexe :

  • Il faut prouver que les décisions de gestion sont justifiées par des impératifs objectifs (économiques, techniques) et que leur mise en œuvre a respecté la santé des salariés.
  • Il faut démontrer que l’ambiance de travail, si elle est tendue, ne relève pas d’une méthode de gestion délibérée mais peut-être de circonstances exogènes exceptionnelles.

Conclusion

L’arrêt du 10 décembre 2025 restera comme un marqueur fort de la jurisprudence de la Chambre sociale. En fermant la porte à l’investigation médicale patronale et en ouvrant grand celle de la reconnaissance du harcèlement systémique, la Cour de cassation adapte le droit du travail aux enjeux contemporains. Elle rappelle que l’entreprise n’est pas un lieu d’exception juridique et que la subordination du salarié ne signifie pas l’abdication de ses droits fondamentaux.

Dans un monde professionnel où la pression à la performance est constante, cette décision agit comme un garde-fou nécessaire, rappelant que la santé mentale et l’intimité du travailleur sont des biens juridiques supérieurs à la liberté d’entreprendre. Pour les entreprises, le message est clair : la conformité sociale et le respect de la personne humaine ne sont pas des options éthiques, mais des impératifs juridiques dont la violation se paie désormais au prix fort de la nullité.

Synthèse des principes directeurs

DomainePrincipe juridique affirméConséquence pratique immédiate
Vie privéeLe secret médical est absolu et opposable à l’employeur en toutes circonstances.Interdiction totale de contacter le médecin traitant.
SanctionL’utilisation d’une info médicale obtenue illicitement contamine le licenciement.Nullité du licenciement (Réintégration ou indemnités sans plafond).
HarcèlementLe harcèlement managérial peut être impersonnel et systémique.Un mode de gestion toxique suffit à caractériser le harcèlement pour tout salarié du service.
PreuveAppréciation globale des faits (faisceau d’indices) obligatoire.Interdiction pour les juges d’analyser les faits isolément (« saucissonnage »).

Les analyses et conclusions présentées dans cette chronique sont fondées sur l’étude textuelle de l’arrêt 24-15.412 et des textes législatifs cités.1

Sources des citations

  1. 10 décembre 2025 Cour de cassation Pourvoi n° 24-15.412, https://www.courdecassation.fr/decision/693927bfc988783351cb6749
  2. Cass. soc., 10 décembre 2025, n° 24-15.412 – COUR DE CASSATION – Livv, https://app.livv.eu/decisions/LawLex202500013735JBJ
  3. Licenciement nul pour violation du secret médical et harcèlement moral : arrêt pédagogique de la Cour de cassation sur les limites à ne pas franchir – INVICTAE Avocats, https://www.invictae-avocat.com/post/licenciement-nul-pour-violation-du-secret-m%C3%A9dical-et-harc%C3%A8lement-moral-arr%C3%AAt-p%C3%A9dagogique-de-la-cou
  4. AVIS DE Mme GRIVEL, AVOCATE GÉNÉRALE – Cour de cassation, https://www.courdecassation.fr/getattacheddoc/693927bfc988783351cb6749/28d10f2f78585a07b9ba98c2ee39659e
  5. Médecin traitant et secret médical : L’employeur ne peut pas le contacter pour obtenir des informations – Qiiro, https://www.qiiro.eu/actualites-cse/medecin-traitant-secret-medical-employeur-contacter
  6. French Supreme Court: Unfairly Obtained Evidence Can Be Admissible in Civil Litigation – Latham & Watkins LLP, https://www.lw.com/admin/upload/SiteAttachments/French-Supreme-Court-Unfairly-Obtained-Evidence-Can-Be-Admissible-in-Civil-Litigation.pdf
  7. Lexis Veille, https://www.lexisveille.fr/search/m/Contrat%20de%20travail-1172?summary=Contrat%20de%20travail&custom_url=1
  8. Lexis Veille, https://www.lexisveille.fr/search/m/Justice%20civile–Contr%C3%B4le%20et%20contentieux%20social-1172?eaexsb_sjw=5&rrolavp=Mfrftdf%01dttzpd&text=&facets_query_custom=%252Fsearch%252Fm%252FJustice%252520civile–Contr%2525C3%2525B4le%252520et%252520contentieux%252520social-1172&rewritedQueryString=%3Fpage%3D1&page=1
  9. Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 26 mars 2025, 22-18.311, Inédit – Légifrance https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000051399929?cassDecision=ARRET&cassFormation=CHAMBRE_SOCIALE&init=true&isAdvancedResult=true&juridictionJudiciaire=Cour+de+cassation&page=1&pageSize=10&query=%7B%28%40ALL%5Bt%22*%22%5D%29%7D&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=juri&typeRecherche=date
  10. Harcèlement moral : une évaluation globale des faits s’impose – le mag juridique, https://www.lemag-juridique.com/articles/social-harcelement-moral-evaluation-globale-faits-simpose-8574.htm